MARIA GRAZIA CHIURI : « LE SPORT EST UN VECTEUR D'éMANCIPATION DES FEMMES »

Elle a signé les looks des athlètes de cette série mode événement. Rencontre en coulisses avec la directrice artistique de la maison Dior.

ELLE. -  On connaît votre engagement féministe : pensez-vous que le sport puisse avoir un rôle à jouer ?

Maria Grazia Chiuri. - J'ai fait des recherches sur ce sujet qui me passionne, et j'ai découvert que depuis plus de deux cents ans le sport a toujours été un vecteur d'émancipation des femmes. Prenez le vélo : inventé au début du XIXe siècle, il a été conçu pour des hommes. Pédaler en robe longue, c'est impossible. Mais, très vite, des femmes ont eu elles aussi envie de faire de la bicyclette, et elles ont petit à petit adapté leurs tenues. Étape par étape, elles ont progressivement acquis elles-mêmes de la liberté, jusqu'au jour, à la fin du XIXe, où une femme a réussi un tour du monde à vélo ! Ça me semble être une étape importante pour la libération du corps féminin, mais aussi pour le lifestyle en général : pratiquer un sport à l'air libre est devenu une aspiration commune pour les femmes.       

ELLE. - Lors de votre première collection pour la maison Dior (printemps-été 2017) apparaissaient des silhouettes inspirées des escrimeuses…

M.G.C. - J'ai toujours considéré l'escrime comme un sport particulièrement élégant. On s'affronte, certes, mais on ne se touche pas. Les qualités exigées ne sont pas l'agressivité, mais une concentration extrême. La tenue, qui doit en même temps faciliter les mouvements et protéger, est un défi technique et esthétique. C'est comme quand on enfile un uniforme : cela change l'approche de son propre corps. Si j'avais choisi ce thème pour cette première collection, c'est que les deux équipes nationales les plus importantes, à l'époque, étaient l'Italie et la France. Un clin d'œil, alors que je débarquais à Paris depuis Rome ! Par ailleurs, les pièces phares de ce sport sont la veste et le corset, deux éléments fondateurs de la garde-robe Dior.                                                                   

ELLE. - Comment intégrez-vous le sportswear dans vos collections ? Le faites-vous systématiquement ou juste occasionnellement ?

M.G.C. - En proposant du sportswear, je m'inscris dans la tradition de la marque Dior, la première, dans les années 1960-1970, à proposer une ligne de sport pour les femmes qui commençaient à aller au ski chaque hiver. C'est une période de révolution dans l'histoire de la mode : on passe de la haute couture toute-puissante au règne du prêt-à-porter, le look change complètement. Je propose souvent une ligne sport dans les collections d'hiver, mais aussi « hors saison », comme la collection Dior Vibe. Le sportswear fait partie du monde d'aujourd'hui, et j'ai été super excitée de créer une collection capsule dans le cadre des jeux Olympiques de Paris.

Pratiquer un sport à l'air libre est devenu une aspiration commune pour les femmes

ELLE. - On y retrouve le motif de l'étoile, un thème récurrent pour la maison, du bleu-blanc-rouge bien sûr, mais aussi une tour Eiffel. Vous vous sentez de plus en plus parisienne ?

M.G.C. -  Question difficile ! [Rires.] J'aurais du mal à me revendiquer parisienne, car je garde un background italien très fort. Mais la tour Eiffel est une telle icône ! J'ai adoré dessiner cette collection capsule, parce que c'est très étroitement lié aux cultures grecque et latine avec lesquelles j'ai grandi. À Rome, il y a partout des sculptures d'athlètes, de corps en mouvement, qui rappellent que le sport est un élément d'intégration et qu'il concerne toute l'humanité. Être un homme ou une femme, ce n'est pas le sujet. Comme l'uniforme, la tenue d'un athlète ne relève pas du genre. C'est un thème qui me parle.

ELLE. - Dans vos défilés, il y a souvent des cavalières ou des danseuses. Est-ce que le corps qui s'élance, qui s'étend et se replie, c'est important pour vous ?

M.G.C. - Tellement ! La modernité, c'est le mouvement. Dessiner pour des danseurs constitue un défi pour un designer. Plus que quiconque, ils doivent bouger et se sentir bien dans leurs vêtements, et nous sommes là pour les y aider. Je pense que notre rôle, à nous tous, les designers, est avant tout de prendre soin du corps. Ça commence avec les chaussures, d'ailleurs, qui doivent « tenir » toute la silhouette. Je suis assez obsessionnelle avec mes équipes sur la conception des talons et de la forme du soulier. J'adopte une approche qui s'apparente presque à du design industriel : je pense que la fonctionnalité est primordiale.   

ELLE. - Les athlètes des jeux Olympiques auront seulement quelques minutes pour couronner, ou non, des mois d'entraînement. Sentez-vous la même pression pendant les défilés ?

M.G.C. - Moins maintenant car j'ai plus d'expérience. Mais aux défilés, je préfère « l'avant », c'est-à-dire les mois pendant lesquels je rêve à ce que nous allons proposer. Le show, c'est juste le point final. Je pense que les sportifs, eux aussi, préfèrent le temps de l'entraînement, où l'on peut affiner ce qu'on va faire, chercher, essayer encore et encore… On ne peut rien réussir si l'on n'est pas passionné par ce que l'on fait. Quant à l'après-défilé, c'est un moment merveilleux aussi, car c'est un temps de partage avec tous ceux qui ont travaillé. À l'issue d'un show, avec ceux que j'appelle « la communauté Dior », on a toujours envie d'être ensemble.

À Rome, il y a partout des sculptures d'athlètes. Le sport est un élément d'intégration, il concerne toute l'humanité                                       

ELLE. - Avez-vous un sport de prédilection ?

M.G.C. - J'ai longtemps été très sportive : ski, course, gym… Bouger m'a toujours fait du bien. Avec le temps, le corps change, et l'activité physique que l'on pratique évolue. Aujourd'hui, je marche et je fais du Pilates, c'est important pour mon esprit autant que pour mon corps. J'arrive à m'entraîner trois heures par semaine, le matin au réveil. Compte tenu de la météo parisienne [sourire], je fais souvent ça chez moi, de 7 heures à 8 heures, en écoutant un bon podcast.

ELLE. - J'ai pu voir la collection capsule pendant le shooting, et j'ai cette question qui pourra peut-être vous sembler bizarre : pensez-vous que les femmes oseront porter de si beaux vêtements pour… faire du sport ?

M.G.C. - Mais oui ! [Rires.] Je pense qu'avoir de beaux vêtements, bien coupés, dans des matières agréables, est une motivation pour se réveiller, s'habiller et aller faire du sport. J'aimerais que les gens s'offrent davantage de cadeaux à eux-mêmes. Je rêve que les femmes fassent des choses pour se sentir bien, juste pour elles !

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