PAUL AUSTER, L’INSONDABLE

Il était inclassable, aimant d’abord raconter des histoires et, mieux même, des histoires dans l’histoire «à travers des méandres insondables» comme le dit joliment son éditrice historique, Françoise Nyssen. Insondable, le mot correspond bien à Paul Auster, lui qui semblait regarder doublement le monde de ces yeux qui dévoraient son visage, et peut-être même au-delà, dans un univers fait de hasards et d’arbitraire et, plus récemment, «dans les abysses» comme le confiait sa femme, Siri Hustvedt.

C’est que l’homme, mort mardi 30 avril, n’a pas été épargné par les tragédies entre les morts brutales de son grand-père et d’un camarade de jeu dans son enfance et les disparitions tragiques de sa petite-fille et de son fils il y a peu, jusqu’à son cancer dont Siri Hustvedt faisait régulièrement état sur les réseaux sociaux afin de montrer à tous ceux qui souffraient de la même maladie – et à leurs accompagnants – qu’ils n’étaient pas seuls.

Contrairement à Russell Banks, autre écrivain américain culte, mort lui aussi d’un cancer l’an dernier, qui aimait raconter les grands espaces et les villes du sud de l’Amérique, Paul Auster était le romancier d’une ville, New York, et plus précisément d’un quartier, Brooklyn. Ce grand idéaliste, sauvé d’une enfance difficile par les livres et la découverte du monde et des langues, notamment du français qu’il parlait parfaitement (qui se souvient qu’il a traduit Sartre et Simenon ?), est toujours revenu à Brooklyn, son port d’attache, son socle.

C’est de là qu’avec Siri Hustvedt, un couple irrésistible par son allure et sa puissance littéraire, ils ont livré bataille contre Donald Trump, que Paul Auster voyait comme un poison pour la démocratie, et aussi pour tous les écrivains persécutés, à commencer par leur ami Salman Rushdie. En septembre, nous avions eu Paul Auster quelques secondes au téléphone alors que nous essayions de joindre Siri Hustvedt pour une interview et la vigueur de sa voix nous avait surprise. C’était il y a huit mois. Une éternité. L’écrivaine nous avait alors confié : «Je suis mariée à un grand écrivain, et je l’ai toujours su, bien avant que les autres le sachent.»

2024-05-01T18:49:20Z dg43tfdfdgfd